Mes baskets dérapent sur le sol du gymnase ! Le poussoir de ma seringue est compliqué à actionner ! Je ne parviens pas à ouvrir mon pot de confiture ! Autant d’actions quotidiennes qui deviennent difficiles quand le niveau de frottement est inadapté. Au-delà de ces petits désagréments, tout système où le frottement est mal optimisé génère du gaspillage énergétique, des dysfonctionnements, une usure prématurée des pièces en contact, et donc des opérations de maintenance et de remplacement plus fréquentes, ainsi que les coûts qui y sont associés.
Il existe actuellement deux techniques pour maîtriser le frottement entre deux solides. D’abord, le frottement étant réputé être une caractéristique d’un couple de matériaux et de leur environnement, on peut chercher à sélectionner le couple idéal pour une application donnée. Cependant, les matériaux les plus adaptés pour leurs propriétés tribologiques ne le sont pas nécessairement quant à leurs autres propriétés, thermiques ou électriques par exemple. On peut également ajouter une texture, c’est-à-dire une micro-rugosité, à la surface des solides pour modifier le frottement de l’interface. Cependant, les effets de la texture sur la force de frottement restent très mal compris, ce qui, en pratique, implique souvent une phase préalable, longue et coûteuse, d’identification expérimentale de la texture le plus adaptée.
C’est précisément ce dernier verrou scientifique que des chercheurs du Laboratoire de tribologie et dynamique des systèmes (LTDS, CNRS/Centrale Lyon/ENTPE) ont levé. Dans un article paru dans la revue Science, ils décrivent une méthode permettant de réaliser, pour un couple de matériaux donné, une interface ayant un comportement frottant préalablement défini dans un cahier des charges. Pour atteindre cet objectif, leur stratagème a été de simplifier à l’extrême la rugosité de surface, qui se résume à un réseau de petites protubérances sphériques de hauteurs variées. Dans ces conditions, la réponse tribologique de l’interface devient facile à modéliser et on peut alors déterminer la hauteur de chacune des protubérances qui permet de conférer à l’interface le comportement de frottement désiré.
Les chercheurs ont illustré expérimentalement leur méthode sur un contact entre du verre et un élastomère silicone. Ils ont pu fabriquer différents échantillons en silicone dont la surface porte 64 protubérances sphériques, ayant toutes un rayon de courbure d’un demi-millimètre. En faisant uniquement varier les hauteurs individuelles des protubérances, ils ont obtenu différents coefficients de frottement – la grandeur qui quantifie le niveau de frottement d’une interface – sans rien changer aux matériaux en contact. Mieux encore, ils ont pu obtenir des contacts présentant deux coefficients de frottement différents selon le niveau de compression exercé sur les solides, comportement très difficile à trouver dans la nature !
Et les chercheurs ne comptent pas s’arrêter là. Ils tentent de satisfaire des cahiers des charges de plus en plus complexes, par exemple en diversifiant les formes des protubérances et en les miniaturisant. Adieu les pots de confiture récalcitrants ?
Designing metainterfaces with specified friction laws.
Aymard, E. Delplanque, D. Dalmas, J. Scheibert.
Science, janvier 2024.
https://doi.org/10.1126/science.adk4234