POUR FOURNIR DE L’EAU POTABLE AUX POPULATIONS QUI EN SONT PRIVÉES, UN ARCHITECTE ITALIEN + A IMAGINÉ UNE CONSTRUCTION QUI CAPTE L’HUMIDITÉ DE L’AIR AMBIANT.
6 min • Henri de Lestapis
PAR HENRI DE LESTAPIS
L’arbre warka est aux villages éthiopiens ce que sont la fontaine et ses platanes à ceux de nos campagnes : un point de rassemblement où les habitants flânent et papotent. Avec sa coiffe de brocoli géant, Ficus vasta (en bon latin) peut culminer à 25 mètres et étendre ses branches en pétard sur un diamètre de 50 mètres. Il n’en fallait pas tant pour inspirer à l’architecte italien Antonio Vittori le nom de son invention : la Warka Tower. Tout en design et légèreté, cette curieuse construction, qu’on ne s’attend pas à voir surgir au coeur d’une savane, transforme l’air en eau potable. Son fonctionnement est assez simple : autour d’un haut cylindre en treillis de bambous pouvant s’élever jusqu’à une quinzaine de mètres est enroulé un filet dont les mailles captent l’humidité de l’air ambiant. Les gouttelettes de rosée, de pluie ou de brouillard perlent jusqu’à un entonnoir puis un réservoir, placées en bas de la structure. « La performance de la tour dépend de sa hauteur et du taux d’humidité de la région, résume Antonio Vittori. On peut collecter jusqu’à cent litres d’eau par jour. »
Sensibiliser le public
L’architecte a donné les premiers coups de crayons d’une Warka Tower en 2013, lorsqu’il se trouvait en Éthiopie, à l’école d’architecture d’Addis-Abeba. Lors de ses pérégrinations au coeur du pays, il avait été frappé par ces femmes et ces enfants qui parcourent pieds nus des kilomètres de sentier pour rejoindre des sources d’eau à l’hygiène discutable. Et revenir chargés de bidons bien trop lourds. Après avoir expérimenté avec succès son invention en Italie, Antonio Vittori a installé en 2015 sa première tour à Dorzé, dans la vallée de l’Omo. D’autres installations ont succédé au Togo, au Cameroun, en Haïti, en Tanzanie et au Brésil. « En Éthiopie, nous l’avons fabriquée en bambou car il en pousse en abondance. Mais nous adaptons les matériaux de construction en fonction des ressources locales. C’est une invention en perpétuel ajustement. Ce n’est pas un produit fini, explique l’architecte, en dévoilant des plans de tours aux silhouettes toutes différentes, pour sensibiliser le public et récolter des fonds pour son association Warka Water. Nous avons exposé la tour en France, en Italie, aux États-Unis, au Japon, en Chine, au Qatar… »
La Warka Tower ne coûte pas plus de 1 000 euros de matériaux, selon son concepteur. Composée de six modules montés l’un après l’autre, il faut environ quatre semaines et huit personnes pour la construire et seize bras de plus pour l’ériger. À l’inverse, il ne faut que deux heures à la même équipe pour la démonter, en vue de son entretien par exemple. La solution paraît idéale. Mais ce qui peut sembler facile et relevant de l’évidence à un point cardinal de la planète ne l’est pas forcément à son opposé.
Un entretien très minutieux
Tout d’abord, Antonio Vittori a dû convaincre les habitants africains, façonnés par leurs habitudes et leurs coutumes, des intérêts hygiéniques d’une eau propre et potable. « Cela n’est pas tout, ajoute-t-il. Bien qu’il y ait beaucoup de gens au chômage, une des grandes dicultés en Afrique, où le quotidien est ponctué d’inattendu, est de trouver les ressources humaines. Il faut composer avec des personnes qui n’ont pas forcément la culture du long terme. Il faut également trouver des gens volontaires et compétents pour entretenir ces structures.
C’est pourquoi il est toujours nécessaire de bien partir de la culture locale avant de lancer un projet. » Antonio Vittori a néanmoins mené une poignée de projets à bien. Sur ses conseils, Serge Rohmer, professeur à l’université de technologie de Troyes, a tenté l’expérience à Kpekpeta, dans le sud-est du Togo, après avoir confectionné une Warka Tower de petit format avec ses étudiants dans la cour de l’établissement. « Nous avons débuté le projet à Kpekpeta et réalisé qu’il n’était pas assez productif pour cette communauté, raconte-t-il. Cela aurait pu créer des conflits entre ceux qui profitaient de la Warka Tower et les autres. » Il souligne le coût de la tour qui excède les 1 000 euros si l’on y ajoute son montage.
Enfin, il constate les différences de rendements selon les saisons et l’importance d’un entretien très minutieux des filets. « Ils collectent aussi des insectes. Les oiseaux peuvent y atterrir et déposer leurs excréments », précise Serge Rohmer. Il suggère plutôt la solution de petits collecteurs d’eau de pluie à dimension familiale. « Cela n’aurait pas la portée sociale et fédératrice des Warka Tower, autour desquelles la population peut se regrouper comme autour d’un arbre, ainsi que le souhaite Antonio Vittori. Mais cela serait peut-être plus efficace si chacun avait la charge de son propre collecteur », observe-t-il.
Un autre enseignant français, Stéphane Valette, s’est lui aussi penché sur le cas de la Warka Tower, sous un angle tout différent. Il en a également construit une en modèle réduit de 2 mètres de haut, à l’École centrale de Lyon où il exerce. Dans son laboratoire de tribologie – qui est la science des frottements -, il étudie notamment les surfaces hydrophiles et hydrophobes. Parce que la nature est source de bien des innovations, ses recherches l’ont conduit à se pencher sur le cas du scarabée de Namibie : sa carapace, composée de surfaces hydrophiles et hydrophobes, collecte l’humidité à certains endroits puis la conserve à d’autres pour maintenir l’insecte en vie.
La carapace du scarabée
Au moyen d’un laser, qui modifie la surface des matières textiles, Stéphane Valette souhaite reproduire le stratagème de la carapace du scarabée sur des filets de la Warka Tower pour en optimiser le rendement. « Le textile ainsi obtenu pourrait trouver des applications dans bien d’autres secteurs tels que le médical, ou l’aéronautique », s’enthousiasme-t-il. Antoine de Saint-Exupéry aurait apprécié.
Dans Terre des hommes, il raconte son épreuve de survie dans le désert libyen. Après l’accident de son avion, il tenta de recueillir la rosée de la nuit sur la toile découpée d’un parachute. Au petit matin, son camarade et lui avaient recueilli près de 2 litres d’une eau qui, hélas, s’avéra imbuvable… « J’ignore si notre échec est dû à un enduit du parachute ou au dépôt de tétrachlorure de carbone qui entartre le réservoir. Il nous eut fallu un autre récipient ou d’autres linges », écrivait-il. Expérience ratée mais le père du Petit Prince venait de faire un premier pas vers la Warka Tower. ■ H. DE L.